mardi 18 mai 2010

Ma détention au Bélarus

 Photo prise en catimini dans la salle de détention


Des jeunes, surtout des gars, dreads, cheveux longs, mais aussi la coupe carrée, écoutent l’exposé d’introduction. Lundi soir, ils sont venus à l’Atelier d’histoire de Minsk pour regarder un film sur une anarchiste active pendant la Guerre civile espagnole de 1936-1939. Peu avant le début de la projection, un officier en civil barre le cadre de porte, encadré par deux adjoints et deux policiers en uniforme. « Qui est le chef ici? », aboie-t-il violemment. « Y’en a pas », répondent avec défiance les jeunes. « Montrez-moi vos documents », commande-t-il d’un ton impérieux en entrant. « Montrez-nous d’abord les vôtres », répliquent du tac-au-tac les jeunes, en ajoutant moqueusement : « Comment peut-on savoir si vous travaillez vraiment pour la police, et que vous n’êtes pas des terroristes? » L’officier n’est pas d’humeur à plaisanter. lI nous dit que apparemment on aurait parlé de cette projection sur un site « sur lequel il s’écrit beaucoup de bêtises... » Le ton de la discussion monte :


« Vous n’avez pas le droit de faire ça sans raison!, dit l’organisateur de la projection.
- Et bien il y en a une, de raison : tu ressembles au gars recherché pour avoir lancé des brochures pendant un rassemblement syndical officiel.
- C’est n’importe quoi, dit un autre.
- Ouais? Et bien d’ailleurs, toi aussi, tu lui ressembles, rétorque l’officier
- On connaît nos droits!
- Non, vous ne connaissez pas, moi j’ai une formation juridique, dit l’officier
- Ceux qui ont une formation, on les prend pas dans la police, lance un jeune.
- Et bien moi, j’en ai trois, répond fièrement l’officier.

Sur quoi la salle éclate de rire.

Un regard par la fenêtre nous prouve que les forces de l’ordre ne se sont pas déplacées pour une simple vérification. Les forces spéciales ‘OMON’ sont là dans leur uniforme militaire, des fourgons ont été avancés. Nous devons sortir par deux avant d’être fouillés et assis dans ces mini-vans.

Un des jeunes s’exclame qu’ils n’ont pas le droit de les arrêter comme ça sans accusation. Un des membres des forces spéciales l’injurie vertement et lui dit que nous ne sommes pas arrêtés, mais retenus, et que si nous étions arrêtés, alors ils nous auraient plaqués au sol, nous auraient bien « planté la gueule dans la terre jusqu’à ce qu’on en crache » et nous auraient passé les menottes. Suite aux revendications du jeune, il s’énerve et lui demande ce qu’il ne comprend pas et s’il ne serait pas Juif par hasard.

Sur la route, une voiture conduite par un jeune Noir dévie de la route et nous force à faire de même. « Putain de singe », commente ce représentant des forces policières...
Nous descendons des voitures au poste de l’arrondissement Maskovskyi de Minsk. « Dépêchez-vous, bande de pédérastes » nous lance un policier. Au poste, on nous mène à travers un long dédale de corridors et d’escaliers désorientants jusqu’à une salle où nous prenons place. J’en profite pour faire connaissance avec les autres. Ils sont bien désolés de m’avoir mis dans cette situation, sachant que je pourrais avoir des problèmes avec les services d’immigration. Nous sommes tous un peu nerveux, mais les blagues et les moqueries fusent. « Vous pouvez bien rire, mais tout à l’heure vous allez pleurer! », lance un des inspecteurs. Malgré l’interdiction, les jeunes envoient des textos pour prévenir parents et amis.

« Ça va aller, Anton, tu peux venir », dit un des inspecteurs à un des ‘jeunes’, un policier qui s’était infiltré dans la réunion, qui se lève et quitte la salle sous les regards haineux.

Comme étranger et donc, prise sordide, je suis appelé en premier et escorté par un des inspecteurs, je refais le chemin à rebours jusqu’à une petite salle où l’inspecteur en chef en personne m’interroge. Apprenant que j’ai grandi au Canada, il me demande si je parle français ou anglais. « Français », dis-je. « Parler français », ânonne-t-il avec un lourd accent... Je joue le jeu de l’idiot amateur de films historiques venu par hasard. Il a l’air de marcher. Il note tout cela avec minutie.

De retour dans la salle avec les autres. Les inspecteurs prennent note de toutes les informations contenues dans nos passeports. Un seul refuse de donner ses documents et de dire quoi que ce soit aux policiers tant qu’il n’y a pas d’accusation et tant que les policiers ne lui auront pas montré leurs documents. Il me fait plusieurs fois promettre de l’attendre à la sortie si je sors avant lui, au cas ou... C’est qu’au Bélarus, des gens ont déjà disparu sous le régime actuel.

Plus tard, nous sommes tour à tour menés dans une autre salle où des photos de ‘bagnard’ sont faites : de face, de profil, etc.. « Cicatrices, signes particuliers? Taille? Couleur des yeux? » Comme au cinéma... Et puis entrevue superficielle devant caméra. Nom, prénom, date de naissance, profession, adresse. Ensuite, c’est la prise des empreintes digitales, un policier m’étale de l’encre sur les mains et étampe soigneusement doigts et paumes sur des feuilles de papier. Il est neuf heures passé. « Vous travaillez bien tard, lui fais-je discrètement remarquer, vous n’avez donc pas de syndicat? » « Non, répond-il avec amertume, imaginez-vous qu’ils l’ont interdit dans la police. » Je signe et retourne à la salle.

Vers 22 heures, alors que les trois heures de retenue autorisées sous le prétexte passe-partout de « vérification d’identité » viennent à leur fin, nous sommes progressivement relâchés, les mains noires d’encre. Aucune accusation n’a été portée. Réunis sur le trottoir non loin avec des amis venus aux nouvelles, nous attendons encore l’organisateur de la réunion et celui qui refusait de divulguer son identité. Finalement ils sont aussi relâchés, malgré leur refus de coopérer. Les policiers n’ont même pas relevé leurs empreintes digitales... Peut-être déçus de leur prise?

Une violente pluie interrompt les retrouvailles à l’air libre et disperse les jeunes, à qui le pouvoir a rappelé qu’à moins d’un an des prochaines élections présidentielles, la police ne laisserait pas passer une seule occasion de rappeler sa présence, même en embarquant des jeunes venus voir un film historique dans un musée privé. Dernièrement, les fouilles, arrestations et provocations se sont mulitipliées, prouvant que la campagne présidentielle a bel et bien commencé. Le but est visiblement d’effrayer, d’harceler et de décourager toute entreprise ‘anti-régime’, aussi innocente soit-elle. Le président Aleksander Lukashenka ne compte pas être privé d'une troisième ré-élection par une quelconque « révolution de couleur » comme ce fut le cas dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. Après une période très officieuse de libéralisation, le pouvoir serre à nouveau la vis, semble-t-il. Au détriment de ses tentatives de se débarrasser de son image de ‘dernière dictature d’Europe’.

Sources tierces relatant l’événement (en russe et anglais) :


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire