Le jour de la victoire est sans doute la fête la plus importante en Russie et au Bélarus ainsi que dans plusieurs regions de l’Ukraine. Elle est aussi fidèlement observée dans plusieurs pays de l’ex-Union Soviétique. Sur le territoire de la République Soviétique Socialiste Bélarussienne, environ le tiers des habitants ont été tués ou blessés lors de ce que les dirigeants soviétiques ont appelé “La Grande Guerre patriotique”. Envahie dès les premiers jours de l’invasion nazie, ses habitants ont vécu sous occupation pendant près de trois ans. Toute personne agée a directement vécu les horreurs de cette guerre. Ce dimanche, le 65e anniversaire de la victoire a été feté en grande pompe. Retour sur cette fête et ses origines.
Lors du mouvementé vingtième siècle, le territoire biélorusse a été secoué par de nombreux événements. La Deuxième Guerre mondiale reste cependant l’événement le plus marquant, tant par son ampleur que par la place qu’il lui a été reservée jusqu’à aujourd’hui. Dans la memoire populaire, le Bélarus est le territoire des martyrs et des héros dans la lutte du people soviétique contre les “envahisseurs germano-fascistes” ; le Bélarus est la “République des Partisans”. Pour ce pays à la faible identité nationale, cette guerre représente un des fondements de la mémoire commune. Le pays est littéralement couvert de mémoriaux à la gloire des victimes de la guerre: civils, partisans et soldats de l’Armée Rouge. Et ils sont scrupuleusement entretenus par le pouvoir actuel.
Dès la mi-avril, toutes les villes du Bélarus ont revêti leur attirail de fête: gigantesques bannières, drapeaux multicolores, grandes draperies et affiches dans les vitrines de tous les commerces et batiments de l’administration. La loi oblige tout commerce à afficher des affiches commémorant la victoire. À Minsk, la place de l’Indépendance, la Place d’Octobre, la Place de la Victoire, ainsi que les autres lieux publics se retrouvent transformés par ces decorations rouges-jaunes-oranges. Le kitsch post-soviétique est aussi au rendez-vous. La semaine dernière, les preparations pour le défilé suivaient leur cours, avions et coups de canon étaient audibles, même au beau milieu de la nuit…
Finalement, le grand jour, dimanche, une gigantesque parade avec tanks, missiles, unites d’infanterie et groupes de sportifs et danseurs folkloriques a pris la rue. Les veterans, hommes et femmes, à l’age venerable avaient enfilé leur uniforme et courbaient sous le poids des médailles. Les chaines de television officielles diffusaient le défilé de Minsk ou de Moscou, tandis que certains canaux passaient des films de guerre soviétiques. Le président Aleksander Lukashenka préféra rester à Minsk fêter avec ses concitoyens plutot que d’accepter l’invitation de Moscou. Il apparut à la foule habillé en habit de général, le président étant aussi à la tete des forces armées du pays. Son fils, le jeune Kolya, participait aussi aux festivités, lui aussi dans un costume d’officier taillé à sa mesure...
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le culte de la ‘Grandiose Victoire’ ne date pas de 1945, mais plutot de 1965. Ce n’est en effet que sous la direction de Léonid Brejnev que le jour du 9 mai est devenu un des piliers idéologiques du régime soviétique. Au lendemain de la victoire, l’Union Soviétique était en ruines, le peuple avait faim et une nouvelle guerre se dessinait, cette fois contre les alliés d’hier. De plus, la guerre avait laissé de profondes cicatrices : les défaites de 1941-42, les erreurs de Staline, les soldats sacrifiés et la collaboration de nombreux citoyens avec l’occupant. Les dirigeants soviétiques préféraient laisser ces douloureuses années derrière eux. L’Armée Rouge défila en juin 1945 ainsi que le 9 mai 1946. Dès 1947, le 9 mai redevint un jour ouvrable et il n’était pas de bon ton de ressasser certains souvenirs...
Dans les années 60, le régime cherchant de nouvelles bases morales à son existence, le mythe de la victoire du peuple soviétique uni contre la barbarie nazie fut construit et glorifié. D’imposants monuments furent érigés au quatre coins de l’empire et chaque 9 mai, la machine du Parti célébrait ‘l’immortel exploit du peuple’. Dans les musées, les écoles et les cinémas, le thème était exploité à profusion. Les vétérans revinrent au devant de la scène et le pouvoir leur offrit toutes sortes d’avantages sociaux. Cette mythologie ne devait pas seulement illustrer l’unité de la centaine de nations de l’Union Soviétique, mais aussi la supériorité du système soviétique sur le fascisme.
Sans surprise, ce sont de tels thèmes qui furent repris dans le discours du président bélarussien Lukashenka. Le président rappella ainsi dans son discours que la Victoire illustra l’unité de gens de différentes nationalités ainsi que la victoire d’un système sur son antagonisme.
Rappelant que le Bélarus souffrit plus que tout autre peuple pendant la guerre, il fustigea les gens qui, selon lui, tentent de « rabaisser l’exploit de la Glorieuse Victoire de notre soldat et notre partisan-résistant terrassés pour la libération de leur pays. -Encore pire, proclama-t-il de la tribune, ces tentatives se sont transformées en tendance politique. » Il faut tout faire pour mettre fin à cette révision de l’histoire, selon le président. C’est qu’au milieu de la mythologie soviétique qui domine touours l’idéologie officielle bélarussienne, certains osent parler des crimes soviétiques ainsi que des crimes commis par certains partisans. Cela équivaut à toucher à un véritable tabou, même dans la société actuelle.
Ce qui peut être considéré comme novateur dans le discours de dimanche, c’est l’emphase mise sur l’unité des nations slaves (russe, ukrainienne et bélarussienne) lors de la Grande Guerre patriotique ainsi que la mention du caractère raciste du régime occupationnel nazi. Depuis quelques années, Lukashenka s’est distancé du refus soviétique de reconnaitre les souffrances particulières de plusieurs groupes, c’est-à-dire l’Holocauste ainsi que le massacre des Roms. Si dans son discours, le génocide des Juifs n’est pas mentionné, au moins le mot ‘racisme’ s’y trouve... même si c’est pour mentionner que la victoire était celle de l’humanisme sur le racisme, et de la liberté sur l’esclavagisme. (sic)
En conclusion, le président souligna que la situation actuelle oblige le pays à renforcer ses capacités défensives. Pour cela, il faut selon lui assurer un haut niveau de développement des forces armées. « En se souvenant de la guerre, nous sommes conscients que pour nous, il n’y a rien de plus important que la sauvegarde de la paix, du bien-être de la population et de l’indépendance de notre gouvernement. Et c’est ce que vise notre politique. Notre précieux héritage, c’est-à-dire la liberté et l’indépendance, ne doit pas seulement être honoré, mais aussi défendu contre les menaces politiques et économiques par tous les moyens possibles. »
Le côté militariste des festivités saute aux yeux, et les victimes ne sont utilisées que pour souligner le besoin de s’armer. Si on peut oser prétendre que dans la plupart des pays occidentaux, la guerre est vue comme source de souffrance et de destruction, humaine et matérielle, au Bélarus le discours est plutôt orienté vers l’héroïsme et le courage qu’elle entraîne. Tous les établissements éducationnels, de la garderie à l’université, invitent des vétérans pour le 9 mai. Et ce qu’ils cherchent, ce sont ces vétérans couverts de médailles qui ont combattu au front ou bien dans les rangs des partisans. Et tous ceux qui ont vécu la guerre sous occupation, comme travailleurs forcés ou bien dans les camps de concentration restent encore éloignés de l’attention des médias et de la société... au grand détriment du développement d’un autre regard sur cette guerre et de la révision de certains mythes.
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