jeudi 1 avril 2010

Quelques heures de liberté


Comme chaque année, le 25 mars est l’occasion pour opposants et citoyens de commémorer une page peu connue de l’histoire bélarussienne. En 1917-1918, alors que la Première Guerre mondiale se termine, divers groupes nationalistes tentent de profiter du désordre ayant suivi les révolutions de février et octobre 1917 afin de créer leurs propres états. Entre les violences bolchéviques et les reprises des hostilités sur le front de l’est, les délégués du Conseil National Bélarussien optèrent pour l’indépendance au détriment de l’idée d’une confédération avec la Russie. Meme si l’indépendance fut écrasée par l’avance de l’Armée rouge, cette République Populaire Bélarussienne (RPB) reste un modèle qui a une grande force symbolique. C’est le rétablissement de cet état indépendant ayant comme langue officielle le bélarussien que visaient les nationalistes lors de la perestroika et des premières années d’indépendance. Et c’est contre un tel modèle que s’est dressé et se dresse toujours le président Aleksander Loukachenka, depuis 1995.

Il faut préciser que l’existence de la République Populaire Bélarussienne est connue, mais qu’elle a été diminuée et dénigrée pendant toute la période soviétique ainsi que sous le régime de Loukachenka. Le mouvement Гавары Праўду (Dis la vérité) distribuait lors du rassemblement un petit pamphlet dans lequel certains mythes concernant la RPB sont déconstruits. Ces idées reçues sont le résultat de la propagande bolchévique de l’époque et sont toujours maintenues par certains ‘historiens’ actuels (de l’école soviétique). Le pamphlet explique que la RPB n’était pas un état fantoche des Allemands créé par des bourgeois pour maintenir le peuple en état d’esclavage. De plus, il explique que cet état fut défendu les armes à la main par de nombreux Bélarussiens de diverses origines sociales et qu’il reçut la reconnaissance de divers États. L’opposition veut réhabiliter l’histoire de ce premier état démocratique indépendant afin de tenir en main un précédent historique dont le peuple bélarussien peut être fier et vers lequel il peut s’orienter.

Évidemment, c’est l’objectif contraire que poursuit le régime actuel. Un des fondements idéologiques du loukashenkisme est la continuation avec le régime soviétique et son originale conception de la démocratie, « à l’orientale ». Il s’agit de démontrer que le libéralisme parlementaire occidental est étranger au peuple biélorusse et ne peut être importé. Ridiculiser et marginaliser le mouvement d’alors contribue à renforcer cette idée que l’idéologie de la RPB ne trouvait pas d’écho au sein du peuple.

Ainsi, jeudi dernier, toutes les forces oppositionnelles démocratiques s’étaient entendues et les autorités avaient meme autorisé le rassemblement devant le bâtiment de l’Académie des sciences. Un trajet pour le cortège avait aussi reçu l’aval de la mairie. Il faut toutefois préciser que la route vers le centre de la ville était bien entendu barrée et que l’autorisation ne concernait que la direction opposée, au grand dam des manifestants. Ceux-ci ne l’entendaient pas de la meme oreille. Vers 18h, une foule d’environ 500 personnes se forma au pied de l’imposant bâtiment de l’Académie et les drapeaux rouges et blancs flottaient au vent. Depuis la réintroduction du drapeau de la république soviétique (rouge et vert), ce drapeau est le symbole de l’opposition au régime de Loukachenka. Les bannières des différents partis et organisations étaient aussi visibles. Chacun profitait de l’occasion afin de s’attirer de la visibilité, 2010 étant l’année des élections parlementaires et 2011, celle de la présidentielle.

Après plusieurs discours diffusés avec un mégaphone minable, une partie des manifestants se dirigea vers le centre, malgré l’intervention d’un zélé petit officier à l’imposante casquette soviétique. Celui-ci menaçait les manifestants, leur expliquant en russe qu’ils s’exposaient à des conséquences peu agréables. Il ne proféra pas un mot en bélarussien malgré les appels de la foule. Si la présence policière lors du rassemblement semblait moindre, mis à part les types en civil à la mine patibulaire, elle se fit très visible et menaçante quant la poignée de militants continua sa route. Une triple rangée de robocops se plaça en face des quelques jeunes téméraires. Après quelques longues minutes de face-à-face, la foule se dispersa, ne voulant finir la journée de la liberté en prison...

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