samedi 30 janvier 2010

L'Holocauste et l'Union Soviétique

 

Il y a peu, le monde occidental commémorait la libération d'Auschwitz par les troupes de l'Armée rouge, le 27 janvier 1945. Auschwitz incarne l'Holocauste aux yeux de nombreuses personnes, même si 'seulement' un million des six millions de victimes ont été tuées dans ce camp. Alors que les débats et les polémiques sont au rendez-vous chaque année, il est à noter que le président russe Dimitri Medvedev a décidé de ne pas assister à la cérémonie. Au-delà de tous les intérêts diplomatiques et des tensions entre la Pologne et la Russie, on ne peut que déplorer que la Russie n'ait pas été présente à la cérémonie alors qu'elle se réclame du passé soviétique en ce qui concerne la Deuxième guerre mondiale. Près de la moitié des Juifs tués venaient du territoire soviétique. De plus, l'histoire de l'Holocauste a été si négligée lors de la période soviétique et même depuis 1991 que cela aurait été un signal envers le devoir de mémoire là-bas aussi. Retour sur l'époque où l'Union Soviétique niait pratiquement le génocide des Juifs.


Le discours antisémite nazi était connu à Moscou, et ce ne fut pas une surprise lorsque des nouvelles de massacres envers les Juifs arrivèrent aux oreilles des dirigeants lors des premiers jours de l'invasion en juin 1941. Durant les premiers mois de guerre, ces nouvelles furent largement et systématiquement diffusées dans la presse soviétique. Le pouvoir voulait vraisemblablement aussi publier ces informations afin d'obtenir le support des Juifs soviétiques. Plusieurs événements et organisations témoignèrent de cette volonté d'organiser la 'communauté' autour du thème du génocide juif. Les autorités reconnurent même que l'extermination des Juifs soviétiques était une politique centrale des Nazis. Le 24 août 1941, la communauté juive organisa une radio-conférence sur le sujet, avec la bénédiction du pouvoir, bien entendu. En novembre 1941, Staline mentionne dans un discours les pogroms qui se déroulent dans les territoires occupés.

Certains pensent que la politique soviétique envers les Juifs était dictée par le besoin de s'attirer la sympathie de l'Occident, notamment par le biais des communautés juives américaine et anglaise. Cependant, il ne faut pas oublier que l'espoir d'une aide extérieure étaient à l'époque illusoire. Il est plus fort probable que le thème de la barbarie nazie devait être exploité et, au début de la guerre, cette barbarie touchait principalement les Juifs. De plus, le début de la guerre marque un certain tournant dans l'attitude des autorités soviétiques par rapport au communautarisme et au nationalisme. Les années 30 furent marquées par l'uniformisation de la société: les groupes nationaux, religieux et tout ce qui pouvait ressembler à une menace pour le maintien de la dictature furent réprimés. Les Juifs, qui bénéficiaient depuis la révolution du support de l'État pour des activités culturelles yiddish, avaient aussi souffert de cette répression. Même les cercles espérantistes furent réprimés, c'est pour dire!

En 1941, il faut rallier le peuple autour du thème du salut commun. Le discours communiste fait place au discours nationaliste, l'Église et la religion sont un peu plus tolérées et le passé impérialiste est exploité. Il ne s'agit pas de défendre le système communiste, mais plutôt la mère-patrie. C'est que les autorités soviétiques sont aux abois: après presque une décennie de purges, de famines et de difficultés, le peuple est peu enclin à se battre pour ce système. Il faut le convaincre que la défense du territoire est un devoir patriotique qui va au-delà des différences idéologiques.

C'est dans ce sens qu'il faut comprendre les efforts entrepris pour diffuser le thème des massacres envers les Juifs au début de la guerre. En février 1942, les autorités fondent le Comité Antifasciste Juif qui regroupe plusieurs importants écrivains, scientifiques et autres dignitaires juifs. Parmi les fonctions de ce comité, il y a la répertoriation des crimes commis envers les Juifs dans les territoires occupés. Le projet de publier un livre sur ce qui s'est produit lors de l'occupation sera lancé plus tard.

1942 est aussi l'année où la politique concernant la publication de détails sur le génocide des Juifs par les Nazis change. Les autorités craignent que la propagande nazie qui clame que les Allemands libèrent l'Union Soviétique des communistes et des Juifs ne soit efficace. Il ne faut pas que la guerre paraisse aux yeux de la population comme une croisade contre le 'judéo-bolchévisme'. Il faut que le peuple pense plutôt que les Nazis s'attaquent à tous afin que tous se battent pour leur vie et celles de leurs proches. C'est à ce moment que la presse et les autorités préfèrent mettre l'accent sur les massacres de 'victimes civiles soviétiques'. C'est ainsi que l'Holocauste fut non pas activement nié, mais plutôt recouvert, caché, tu. La commémoration des horreurs de l'Holocauste en Union Soviétique fut ainsi marquée par l'absence totale du terme 'juif'.

Le 'Livre noir' que le Comité Antifasciste Juif rédige dès 1944 sous la direction d'Ilya Ehrenburg démontre bien ce changement politique. Remanié, corrigé, retouché plusieurs fois, il ne sortira jamais en Union Soviétique. Ce recueil de témoignages, rapports et faits ne peut voir le jour à cause des nouvelles directives. C'est que d'un côté il montre comment certains Soviétiques ont activement collaboré au génocide et de l'autre il brise le mythe de la nation martyre unie. Des Estoniens, Lettons, Ukrainiens, Biélorusses, Russes et autres ont parfois eux-mêmes commis les massacres de Juifs. C'est un sujet tabou pour l'après-guerre. De plus, les autorités sont mécontentes de lire les passages dans lesquels des Juifs se sauvent en prenant une identité slave, ce qui équivaudrait à dire que seuls les Juifs étaient menacés par l'occupant. Il ne faut pas qu'un groupe de victimes soit au-dessus des autres. Le livre donnerait l'impression que les Allemands ont envahi l'Union Soviétique uniquement afin de tuer les Juifs.

L'idée du livre, imprimé un peu partout dans le monde, est enterrée en Union Soviétique en 1947. Le président du Comité est tué en janvier 1948 dans un 'accident' d'auto organisé par les services secrets soviétiques et le Comité est fermé en novembre. Entre 1948 et 1952, un procès politique est organisé contre plusieurs des membres du Comité, accusés de nationalisme bourgeois. L'antisémitisme déclenché dans ces années-là en Union Soviétique est dissimulé sous le terme de 'lutte contre le cosmopolitisme apatride'. Ce fut un des derniers procès politiques sous Staline, ainsi que les exécutions qui suivirent. Ironiquement, le Livre noir fut utilisé pour deux procès, celui de Nuremberg, et celui du Comité... 

Si beaucoup d'efforts ont été entrepris depuis la perestroïka et l'indépendance des républiques socialistes soviétiques, il n'en reste pas moins qu'il y a encore beaucoup à faire pour que l'Holocauste trouve sa place dans la mémoire collective des anciens pays socialistes et soviétiques. Des décennies de silence et d'antisémitisme couvé doivent être surmontées.

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