mercredi 30 juin 2010

L'évaporation de la démocratie

 Le parti tout-puissant 'Russie Unie' devant une ferme opposition, à Perm

Depuis quelques années, la société civile russe se plaint de plus en plus du manque de démocratie en Russie et les organisations internationales de défense des droits de la personne pointent régulièrement du doigt les dérives des autorités russes. Au-delà des entorses faites à la Constitution et à la législation locale, plusieurs changements ont affaibli le pouvoir de l'électeur depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Ainsi depuis 2005, les gouverneurs locaux (sortes de dirigeants des entités de la Fédération russe) ne sont plus élus par le peuple, mais plutôt nommés directement par le président. À Perm, cette évaporation de la démocratie a franchi une étape de plus alors que l'élection directe du maire vient d'être supprimée par les conseillers municipaux.


Hier, dans la ville de Perm, dans la région de l'Oural, les députés du conseil municipal ont réduit encore un peu le pouvoir de l'électeur en supprimant l'élection du maire au suffrage universel direct. Dorénavant, les députés choisiront le maire parmi les leurs. Malgré une campagne menée depuis trois mois par la 'Coalition pour des élections directes à Perm' et une opinion publique défavorable, une écrasante majorité des députés a voté pour le changement des règles électorales. L'affaire devrait se prolonger devant les tribunaux, les opposants estimant que la décision du conseil municipal est anti-constitutionnelle.

Au sein de la Coalition s'opposant aux députés se trouvent divers groupes citoyens tels que la célèbre organisation de défense des droits de la personne 'Memorial', ainsi que l''Union de défense des Permiens', l'organisation 'Golos', et d'autres. Alors que la société russe est très difficile à mobiliser et que Perm est loin d'être une ville à la réputation de frondeuse, leur campagne a eu beaucoup de succès. Plusieurs manifestations et piquets ont été organisés afin d'attirer l'attention des citoyens. En Russie, tenir un piquet n'est pas une mince affaire: il faut une autorisation et la police surveille attentivement son déroulement. Afin de ne pas être accusés de manifester (pour quoi il faut une autre permission), les opposants durent renoncer à l'usage de mégaphones. En revanche, un puissant tambour ainsi que des jeunes chantant leur opposition en vers en s'accompagnant à la guitare ont réussi à attirer l'attention et à faire passer le message. Un poteau de la honte avec les photos des députés soutenant le projet avait également été dressé au centre de la ville.

 Le tambour et le poteau de la honte

La bataille fut longue et jusqu'au jour même du vote, opposants et partisans distribuaient leurs pamphlets dans la rue. C'est que la région ainsi que la municipalité de Perm sont contrôlées par le parti tout-puissant 'Russie Unie' (dirigé par Vladimir Poutine, même s'il n'en est pas membre) et le projet de supprimer l'élection directe du maire est une proposition de la section locale du parti. Il s'agit d'une bataille clé pour le maintient du parti au pouvoir. Celui-ci met tout en oeuvre pour convaincre les Permiens que le changement du processus électoral est positif...et aussi pour convaincre que les Permiens le désirent. Ainsi, une firme a été embauchée par l'administration pour sonder l'opinion publique et démontrer que les Permiens sont pour. Leur première étude montrant que 70% des Permiens veulent conserver l'élection directe du maire a vite été retirée du site de la compagnie. Une deuxième enquête aux questions tendancieuses a donc été commandée...

Alors que les opposants comptaient sur l'appui d'ordinaires citoyens mobilisés, le parti avait mobilisé ses propres forces. Au centre de Perm, à quelques mètres les uns des autres, les activistes de l'organisation de jeunesse du parti , la 'Jeune Garde', et les opposants tentaient d'attirer l'attention des passants. Habillés et équipés à neuf et armés de coûteaux pamphlets en papier glacé, les Jeune-Gardistes sont connus pour leur obéissance aveugle envers 'Russie Unie', qui les finance généreusement. Dirigés comme des pions par des hommes en civil aux allures de militaires, les jeunes agitaient des drapeaux russes et arboraient des bannières avec leurs slogans. « Nous sommes POUR la modernisation des autorités de Perm. Nous sommes POUR une nouvelle qualité de vie. » Jouant sur le sophisme 'ce qui est nouveau est progressif, ce qui est vieux est rétrograde', leurs pamphlets présentaient le choix de la façon suivante: allons-nous, comme dans de plus en plus de villes en Russie et dans le monde civilisé (sic) être dans l'air du temps et choisir des méthodes plus contemporaines et efficaces d'administration ou bien rester sur place et de nouveau vivre la déception des élections générales régulières?


Parler deux minutes avec ces jeunes permet de se convaincre qu'ils n'ont non seulement aucune conviction politique propre, mais qu'ils n'ont non plus aucune idée de ce qui est écrit dans les pamphlets qu'ils distribuent. 'Que voulez-vous dire par modernisation?!', demande un citoyen énervé. 'Qu'est-ce que ça veut dire, expliquez-moi!', lance-t-il avec défi. Les cinq jeunes sont incapables de répondre, ils balbutient un 'euh... ben, c'est un changement, quoi'. Ils incarnent bien l'apolitisme de la jeunesse russe ainsi que sa fausse politisation sous la forme d'une incorporation dans ce genre de groupes politico-récréationnels. Tout comme les 'Nachi' pro-Poutine, la plupart n'est pas là par conviction, mais plutôt par obligation. C'est que ces organisations offrent à leurs membres de nombreux avantages tels que des activités de groupe, excursions dans la nature, concerts et, bien évidemment, un accès au pouvoir. En contrepartie, il faut parfois tenir une bannière et un drapeau dans la rue. C'est peu, quand par la suite on peut obtenir une place dans une université ou de précieux contacts pour sa carrière. Des dirigeants du mouvement sont déjà devenus gouverneurs...

L'affrontement fut long à Perm, et le vote de mardi n'a surement pas mis fin au débat. Reste à voir ce que les opposants pourront obtenir en se tournant vers le système judiciaire, et quels seront les conséquences de cette décision impopulaire pour le parti 'Russie Unie'.



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