vendredi 4 février 2011

Trente et un

Le logo de Stratégie-31
Trente et un, c'est une date qui survient sept fois par an. Trente et un, c'est le numéro de l'article de la Constitution russe qui défend le droit au rassemblement. Trente et un, c'est le chiffre qui est repris par l'opposition russe pour réclamer le droit de manifester. Depuis 2008, tous les trente et un de l'année, des activistes à Moscou et dans les régions se retrouvent pour réclamer la liberté d'assemblée. C'est que depuis le début des années Poutine, les autorités autorisent rarement les rassemblements de l'opposition.


De 2006 à 2009, les marches des « Pas d'accord » et autres manifestations contre le pouvoir ont été plus souvent qu'à leur tour violemment dispersées par les forces spéciales sous le prétexte qu'elles n'avaient pas reçu la sanction de la police. Celle-ci motivait ses refus par les troubles causés à la circulation automobile, une menace pour la sécurité des manifestants ou bien encore un vice de procédure lors de la demande. En 2009, le dissident Édouard Limonov décida de créer Stratégie-31 pour rassembler l'opposition autour d'un sujet qui faisait l'unanimité: le droit de manifester. Jouant sur le fait que l'article 31 de la Constitution de la Fédération Russe coïncide avec un jour qui tombe sept fois par an, il créa une large coalition de dissidents prêts à se battre pour faire respecter ce droit. Des National-Bolchéviques de Limonov au Groupe Helsinki Moscovite (défense des droits humains), toutes les allégeances étaient représentées.

Ayant choisi la place Triumfalnaya dans le centre de Moscou, la première manifestation fut organisée le 31 juillet 2009. Depuis, chaque 31 du mois, autorités et opposants s'affrontent. Refusant systématiquement les demandes d'autorisation de manifester, les autorités envoient plusieurs centaines de policiers anti-émeute pour écraser les quelques centaines de citoyens bravant l'interdiction. Parfois, les autorités justifient leur refus en prétextant que des actions ont déjà été planifiées sur cette place, souvent par des mouvements proches du pouvoir, comme 'Jeune Russie'. Chaque 31, plusieurs dizaines de manifestants finissent derrière les barreaux, arrêtés pour participation à un rassemblement illégal. Les peines sont en général de 15 jours. Entre temps, le mouvement est devenu pan-russe et il y a des actions similaires dans toutes les grandes villes russes, avec une réaction similaire de la police.

Stratégia-31. Pour la liberté de rassemblement!
Les autorités sont conscientes de la mauvaise presse que leur font leurs refus, et tentent parfois de proposer d'autres endroits pour la manifestation. Mais les organisateurs de Stratégie-31 refusent par principe. Pour eux, il ne s'agit pas de manifester, il s'agit de faire valoir le droit de manifester: c'est-à-dire de pouvoir s'afficher librement en plein centre de Moscou. D'ailleurs, des différends sont apparus au sein de la coalition, entre ceux prêts au dialogue et les jusqu'en-boutistes. En octobre 2010, les autorités se sont dites prêtes à sanctionner la manifestation, si le nombre de manifestants était limité et d'autres conditions étaient observées. Cela a provoqué la colère de Limonov et d'autres, qui refusent de négocier un droit garanti par la constitution. Le 31 octobre dernier, il y a eu donc deux rassemblements, un légal, et l'autre illégal.

À l'occasion de la dernière manifestation, le 31 janvier 2011, les autorités ont joué la même carte: ils ont sanctionné le rassemblement pour mieux le contrôler. Un impressionnant dispositif de sécurité avait été déployé avec fouille des citoyens à l'entrée de la 'zone'. Cela a provoqué la colère d'Édouard Limonov, qui voit en cela une trahison des principes de Stratégie-31. Comme il l'a écrit sur son blogue, «Un meeting derrière un fil der fer barbelé, comme le meeting du 31 janvier, quand la place Triumfalnaya ressemblait au ghetto de Varsovie encerclé par les troupes hitlériennes, ne peut pas être qualifier de libre.» Et celui-ci d'émettre de nouvelles conditions pour la poursuite de la mobilisation, comme l'absence de forces policières massives, la disposition de policiers à mille pas des manifestants et l'autorisation de faire suivre le rassemblement d'une procession dans les rues.

Pour le moment, la Stratégie-31 est la plus porteuse de toutes les initiatives de l'opposition. Ses buts simples et précis rassemblent les opposants au-delà des appartenances politiques. Cependant, il y a rarement plus d'un millier de participants sur place et cela ne suffit pas pour ébranler le Kremlin. De plus, des failles sont visibles dans la coalition et le divorce apparaît à l'horizon entre modérés et radicaux. La route vers les présidentielles de 2012 est encore longue, mais il faudrait que l'opposition garde une certaine unité et passe à la vitesse supérieure si elle veut avoir une chance de vaincre les forces au pouvoir. Limonov, en fondant son nouveau parti «Autre Russie», se positionne déjà dans la course. En attendant que d'autres forces politiques distinctes se forment, la Triumfalnaya reste le champ de bataille de l'opposition russe.

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