mardi 14 décembre 2010

Élections à la bélarussienne

 "Tous aux urnes!"

Plus que cinq jours avant la date des élections, et pourtant, elles ont déjà commencé. Au Bélarus, cinq jours durant, les électeurs peuvent se rendre aux urnes pour le vote par anticipation. Les candidats de l'opposition appellent la population à ne voter que le 19, alors que toute la machine gouvernementale continue à pousser les citoyens à se rendre dans les bureaux de vote dès aujourd'hui. Un aperçu de ce que donnent ces élections à la bélarussienne.


Pourquoi le vote par anticipation suscite autant de controverse au Bélarus? Il s'agit pourtant d'une pratique courante, autant aux États-Unis qu'en Angleterre, bastions de la démocratie. Dans des pays démocratiquement développés, le vote est surveillé de près, tandis que dans l'espace post-soviétique, cette longue période de vote a souvent été utilisée pour falsifier les résultats. Il est en effet bien plus facile de manipuler les urnes sur une période de six jours que pendant une seule journée. Après les fraudes électorales ayant mené aux révolutions des roses (Géorgie) et orange (Ukraine), les deux pays ont d'ailleurs supprimé cette possibilité.

À l'approche des élections présidentielles, le témoignage d'un ancien policier a jeté la lumière sur le fonctionnement exact des falsifications électorales au Bélarus. Mikalaï Kazloŭ était de garde lors de la dernière journée du vote par anticipation des élections législatives de 2008. C'est lui qui devait recevoir la clé de la salle des urnes après la fin du vote et garder la pièce pendant la nuit. La responsable du bureau de vote lui fit ouvertement savoir qu'elle aurait besoin de la clé, car il faudrait ajouter des bulletins «en support du candidat officiel.» Devant le refus du policier, toute la hiérarchie s'agita et ordonna au policier de donner les clés, la responsable «ayant oublié des papiers à l'intérieur.» Quand il obtempéra, les trois membres de la commission entrèrent dans la pièce et le policier vit de ses propres yeux comment ils bourrèrent les urnes. Avisant ses supérieurs, Kazloŭ se fit répondre: «ce n'est pas votre affaire.» Sur promesse de tenir une enquête, les autorités obtinrent le silence du policier qui se vit soumis à une étroite surveillance. Celui-ci démissionna, et ce n'est qu'en octobre qu'il décida de déballer l'histoire aux journaux d'oppositions, voyant que rien n'avait été fait.

Combien de personnes au Bélarus ont de pareilles histoires à raconter? Combien sont-ils à se taire, n'ayant pas le courage de l'ancien sergent Kazloŭ? Qu'est-ce qui pourrait faire que les élections actuelles se passent différemment? Tout comme en 2008, les urnes seront à la merci des commissions électorales pendant six jours. Tout comme en 2008, les observateurs locaux et étrangers quitteront les locaux à leur fermeture. Combien de policiers refuseront alors de donner les clés aux falsificateurs malgré le commandement de leur hiérarchie? Quand Kazloŭ fit remarquer à la responsable qu'elle ne pourrait de toute façon pas accéder aux urnes, celles-ci étant scellées, elle répondit simplement que le sceau était tel qu'il pouvait être enlevé et replacé sans traces...

Pourquoi autant de gens sont-ils prêts à falsifier les résultats? Au Bélarus, les autorités locales doivent répondre des résultats électoraux. Si le candidat du régime obtient trop peu ou si trop peu de gens sont venus voter, c'est qu'elles n'ont pas fait leur travail. Tout le système repose sur ces relations verticales de pouvoir. La responsable du bureau de vote où le sergent Kazloŭ était de garde devait non seulement fournir à ses supérieurs un certain taux de participation au vote par anticipation, mais aussi un certain pourcentage d'appuis au candidat officiel. Ceux qui refusent de participer à la mascarade ne restent pas longtemps en place. Entre les différentes régions et différentes administrations, une surenchère a lieu afin de gagner la confiance de la hiérarchie: plus on donne, plus on satisfait, plus on reçoit.

Selon plusieurs informations, les résultats sont déjà décidés à l'avance dans les centres régionaux, et les bureaux locaux doivent s'arranger afin de faire concorder les pourcentages. Ainsi, une récente dénonciation anonyme a dénoncé la tenue des élections à Charkoŭchtchina, dans la région de Vitsebsk. Le journal local a publié les informations venant supposément d'un des membres de la commission électorale locale qui raconte comment la responsable falsifie les résultats élection après élection. La participation doit tourner autour de 99% et le support au régime autour de 90%. Selon l'informateur, les bulletins 'contre' sont changés en 'pour' et la commission bourre les urnes de 'pour' au nom de tous les électeurs qui ne se sont pas présentés. Les membres de la commission signent eux-mêmes pour les absents. La responsable, Galina Volah, est à son poste depuis longtemps grâce aux «succès rencontrés dans la conduite des élections». Dans la petite région, ceux qui ont osé s'opposer à elle ont dû quitter les lieux, ne trouvant plus de travail... Et le journal fait déjà état de plusieurs rumeurs sur les résultats assignés à telle ou telle région... Sachant que seuls quelques centaines d'observateurs seront présents dans le pays, il est fort à parier que dans les petites villes, les élections se dérouleront comme à l'habitude.

Dans tout le pays, dans les administrations, les bureaux, les universités, les autorités encouragent les gens à voter par procuration. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles le régime a tout intérêt à envoyer un maximum de gens voter avant la date prévue. D'abord, pour pouvoir falsifier les voix, il vaut mieux qu'elles aient d'abord été jetées dans les urnes. En effet, les cas où les commissions électorales ont elles-mêmes voté à la place d'électeurs ont été nombreux au Bélarus et ont rendu les falsifications trop évidentes. Mieux vaut laisser l'électeur faire son choix pour ensuite le 'corriger'. Vu la présence d'observateurs étrangers, le décompte des voix sera sans doute fait plus ou moins honnêtement dans de nombreux bureaux de vote le soir du 19 décembre 2010. Il faut donc que les voix dans les urnes soient déjà les 'bonnes'. Il y a peu de chances que des falsifications grotesques telles que celles de Charkoŭchtchina aient lieu dans les centres urbains. Ainsi, c'est durant les jours du vote par procuration, que les manipulations devront avoir lieu. Dans la plus pure tradition bélarussienne...

Si l'on se fie aux résultats déjà annoncés dans les médias gouvernementaux, le président Alexander Loukachenka se donnerait quelque 70-75% des voix, un score assez modeste, sans doute pour plaire à la communauté internationale. En l'absence de sondages indépendants, il est très dur d'estimer les intentions de vote de la population. Le soir du vote, une compagnie ukrainienne engagée par le régime bélarussien mènera un sondage à la sortie des urnes. Comme les résultats seront livrés au régime, ils seront soit passés sous silence s'ils ne concordent pas, soit truqués afin de renforcer la légitimité du résultat. Pas étonnant alors que l'opposition mise autant sur un rassemblement populaire au centre de Minsk pour faire fléchir le pouvoir le soir des élections.


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