jeudi 24 juin 2010

Poïzd - Le train


'Poïzd': le train, en russe. Véritable institution soviétique à l'époque, le train reste une expérience authentique malgré les modernisations des deux dernières décennies. Si on peut maintenant acheter son billet par internet et si les voyageurs utilisent téléphones et ordinateurs portables, le voyageur étranger est toujours aussi impressionné par un trajet en train. En fait il s'agit souvent bien plus que d'un trajet dans cette Russie qui s'étale sur des milliers et des milliers de kilomètres. Dès l'ère des réformes au dix-neuvième siècle, le chemin de fer a fait partie du développement du pays pour devenir aujourd'hui un moyen de transport incontournable. Au-delà de la légendaire ligne du Transsibérien, des rails couvrent littéralement le territoire russe. Dans un pays au parc automobile restreint, au réseau routier peu développé et au trafic aérien hors de prix pour le citoyen lambda, la locomotive trône encore et toujours. 

Premièrement, il faut préciser qu'un véritable voyage en train doit se faire en 'platskart'. Dans la Russie d'aujourd'hui, il est possible de s'acheter le luxueux confort d'une cabine individuelle. Ou bien de payer le double pour être en 'coupé', mot venant bel et bien du français et signifiant que les voyageurs sont quatre par quatre dans des cabines fermées. Un peu comme dans les wagons-couchettes connus en Europe. Non, tout ça gâche en quelque sorte l'expérience. Pour s'emplir d'images, sons et, surtout, d'odeurs, il faut prendre une place en 'platskart', là où tout le monde vit en communauté, tant bien que mal.

Quand on a de la chance, alors il reste des places du bas. C'est pratique, car non seulement les bagages sont entreposés dans le coffre dont le couvercle est la couchette, mais aussi on n'est pas obligé de se confiner à la couchette du haut dès que le voyageur d'en-bas décide de s'étendre. Aux guichets, les couchettes du bas s'envolent donc les premières. Mieux vaut éviter les places situées aux extrémités des wagons: claquements de portes incessants, odeurs de toilette et de cigarette garantis. En général, le confort en 'platskart' dépend de ses voisins, mais une bonne place est toujours agréable!


Quatre personnes dans chaque 'niche' sur la droite, deux personnes parallèlement au couloir sur la gauche

On dort sur ses deux oreilles quand les bagages sont sous le matelas!

C'est le peuple russe qui crée toute l'atmosphère du train. De l'éternelle 'pravodnitsa' (chef de wagon) jusqu'aux babouchkas aux dents en or, en passant par les bruyants alcooliques et les soldats en permission au langage coloré, une foule bariolée rend le voyage inoubliable, malgré les expériences pas toujours très agréables. Véritable expérience sociologique et culturelle, ce n'est pas pour rien que l'écrivain russe Viktor Pélevine a représenté la société russe contemporaine comme un train dans son récit « La flèche jaune ».

Reconnaissables par leur hauteur et leur largeur, les trains russes sont bâtis pour accueillir cette micro-société sur des distances considérables. Gravissant les échelons, les voyageurs montent dans le chaos si caractéristique des gares russes. Il n'est pas rare en effet que de nombreux proches accompagnent les voyageurs, montent avec eux dans le train transporter les affaires, et parfois s'y attardent tellement qu'ils doivent sauter du train déjà en marche! C'est dans cette joyeuse ambiance que tout le monde s'installe, que l'on fait connaissance avec ses voisins et que déjà, les premiers mets et les premières bouteilles font leur apparition. C'est le plus étonnant, en fait : la quantité de nourriture que les gens mangent durant le voyage, dès les premières secousses du wagon. Comme si le voyage n'était qu'un prétexte pour manger et boire.

Les gens font comme chez eux. Ils s'installent, se préparent pour un long voyage, se mettent à l'aise. Beaucoup se changent, tombent la chemise, troquent le pantalon pour le short léger, chaussent des sandales. Les hommes déambulent torse nu, découvrant de forts ventres, toutes sortes de cicatrices et des tatouages trahissant un passage en prison, à l'armée, ou un faible pour le heavy metal. Les femmes préfèrent les gaines; et les motifs à peau de léopard ont encore la côte. Les enfants courent par ci par là, les voisins deviennent pour eux autant d''oncles' et de 'tantes'. Les hommes font souvent connaissance en proposant de l'alcool à leurs voisins, bière ou vodka. On va en griller sur la passerelle entre deux wagons. Il y a des gens bavards, d'autres moins. Dans certains endroits, la conversation est animée, dans d'autres les gens lisent tranquillement tabloïds, romans policiers ou romans à l’eau de rose. La radio du train entonne les infernaux refrains de vulgaires starlettes ou de virils chansonniers. Certains font déjà leur lit: c'est-à-dire qu'ils déroulent leur matelas sur la banquette et sortent draps, taie et couverture. L'ambiance est généralement bonne, même familiale.

Évidemment, une telle promiscuité crée aussi quelques frictions entre passagers. Quand un groupe de soldats, de jeunes ou d'ouvriers se regroupe dans les couloirs pour boire et discuter, cela ne plaît pas à tout le monde. Surtout qu'il arrive souvent que les voyageurs boivent sans retenue et que le fameux 'mat' russe (langage non formelle, sorte de jargon vulgaire) résonne au grand déplaisir des oreilles sensibles. Des gens veulent déjà dormir, d'autres pas. Parfois, la responsable de wagon, une femme en général forte et autoritaire, doit intervenir et rappeler les gens à l'ordre.

Quand finalement la nuit tombe sur le train, seuls le bruit régulier des roues sur les rails et les ronflements des voyageurs sont audibles. Les insomniaques peuvent se réfugier dans le wagon-restaurant, là où les fêtards peuvent quant à eux continuer leur beuverie.

Le train se réveille avec les premiers rayons du soleil qui traversent les pâles rideaux. Le va-et-vient des passagers allant faire leur toilette matinale a raison des derniers dormeurs. La pravodnica prend les commandes et les premiers supports à thé en fer font leur apparition sur les tablettes. Et la routine reprend, pendant des jours et des jours. Lors des rares arrêts des trains longue-distance, les gens sortent se dégourdir les jambes sur le quai, où une horde de vendeurs ambulants offre victuailles, boissons, jouets et journaux. Des passagers quittent le train, d'autres prennent leur place et continuent la route. Les trains voisins rappellent l'immensité de ce territoire: Astana, Baikal, Murmansk, Moscou, Vladivostok, Novosibirsk, Ekaterinbourg... autant de noms qui font rêver. Le train n'est pas seulement un moyen de transport qui relie les différentes extrémités de la Russie et de l'ancien empire soviétique, c'est aussi un moyen privilégie de découvrir les peuples qui y vivent.

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