samedi 11 décembre 2010

Course électorale à Minsk

L'affichage électoral est limité à ces modestes babillards

Depuis plus de deux semaines, la campagne pour les élections présidientielles a commencé au Bélarus. Le 19 décembre, neuf candidats tenteront de ravir son poste au controversé et autoritaire président Alexander Loukachenka. L’opposition prévoit déjà la falsification des résultats et appelle à la mobilisation le soir du vote.


Le président actuel se présente pour un quatrième mandat et il ne serait pas contre une présidence à vie, «si le peuple est pour,» a-t-il dit dans une entrevue au journal français «Le Figaro». Les deux dernières élections présidentielles, en 2001 et 2006, avaient été qualifiées de non-démocratiques par la communauté internationale. Autant l’Union Européenne que les États-Unis avaient alors refusé de reconnaître la victoire de celui que les Bélarussiens surnomment, affectueusement ou de façon moqueuse, ‘le père’. Grâce au soutien de la Russie, Loukachenka pouvait alors se permettre de lever le nez sur les exigences occidentales en matière de démocratie et de droits de l’homme. Le grand frère russe a en effet supporté son voisin autant politiquement qu’économiquement depuis l’arrivée au pouvoir du président bélarussien, en 1994. Les relations se sont cependant sérieusement détériorées dans les deux dernières années jusqu’à devenir glaciales cet été. 

Depuis que la Russie exige des prix plus proches de ceux du marché pour ses ressources énergétiques, les querelles se sont multipliées. Le président Loukachenka parle des tendances impérialistes russes et d’atteinte à la souveraineté de son pays tandis que les Russes lui reprochent son ingratitude pour l’aide des seize dernières années. Le président russe Dimitri Medvedev a publié sur son blogue une vidéo dans laquelle il accuse le régime voisin d’utiliser une rhétorique anti-russe. Il conseille même à son homologue de s’occuper du cas des opposants bélarussiens qui ont disparus il y a dix ans dans des circonstances troubles.

Les chicanes avec la Russie obligent Loukachenka à se tourner vers l’Ouest, mais est-il vraiment prêt à se plier aux conditions européennes et américaines? Loukachenka répète que si l’Union Européenne espère lui imposer ses conditions, le dialogue ne sera pas possible. Le Bélarus est un état souverain, se plait-il à marteler. Il est vrai que les mesures européennes n’ont pas eu l’effet escompté: ni la carotte, ni le bâton n’ont vraiment réussi à amadouer cet ex-directeur de fermes d’État soviétiques. Il se peut cependant que Loukachenka puisse maintenant bénéficier de la méfiance de certains pays européens envers la Russie. Ceux-ci pourraient être tentés d’appliquer l’adage ‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’. Ainsi, la présidente lituanienne Dalia Grybauskaité aurait dit aux ambassadeurs européens à Vilnius que l’Union Européenne aurait tout intérêt à supporter Loukachenka, garant de la stabilité au Bélarus et rempart contre la Russie. Si elle a démenti avoir tenu de tels propos, il n’en reste pas moins qu’une telle stratégie permettrait effectivement d’affaiblir la Russie en limitant encore plus sa sphère d’influence.

Plusieurs des plus acharnés opposants au président actuel reconnaissent au moins une qualité à leur ennemi: son flair politique. Plus d’une fois, sa chute a été prédite, plus d’une fois il a su s’accrocher à son trône. S’il a réussi à se faire élire en jouant sur la nostalgie de l’Union Soviétique, il a ensuite repris à son compte l’idée d’indépendance prônée par l’opposition pour enfin tout dernièrement jouer au démocrate et au réformateur. Il reste à voir s’il sera capable d’endosser ce dernier rôle de façon convaincante. Si le régime fait beaucoup d’efforts pour créer l’illusion d’élections démocratiques, il est dur de savoir si le vote sera juste et comment les autorités réagiront aux protestations éventuelles. Loukachenka veut que l’Occident reconnaisse le résultat, mais prendra-t-il le risque de laisser le choix au peuple? Et surtout, sera-t-il capable de mener une démocratisation de la société et une libéralisation de l’économie au-delà des élections?

Si la campagne actuelle est une des plus libres depuis l’arrivée au pouvoir de Loukachenka, elle reste bien loin des standards internationaux. La télévision, la radio et la presse écrite sont entre les mains du gouvernement et chantent les louanges du président actuel en plus de dénigrer constamment ses adversaires. Les candidats n’ont eu droit qu’à deux fois une demi-heure d’antenne à la télévision et la radio nationale. La composition des commissions électorales démontre bien l’opacité du processus électoral et a été dénoncée par la mission des observateurs de l’OSCE. En effet, seuls 0,25% de ceux qui dirigeront le vote émanent de l’opposition! Dans les rues de Minsk et des autres grandes villes, les activistes des divers candidats sont postés un peu partout et tentent de diffuser le message de politiciens dont peu de gens avaient entendu parler avant le début de la campagne. Ils bravent le froid pour transmettre leur vision d’ un autre Bélarus.

L’opposition bélarussienne sait qu’elle ne peut compter sur un soutien actif de l’étranger et mise tout sur la mobilisation populaire. Tout en dénonçant la farce électorale qui se prépare, les candidats utilisent tout l’espace octroyé par le régime pour propager leurs idées et appeler les gens à se rassembler sur la Place d’Octobre le 19 décembre au soir pour « défendre leur vote ». C’est sur cette même place que plusieurs milliers de gens s’étaient réunis en 2006 avant d’être violemment arrêtés par les forces spéciales. Plusieurs des neuf candidats à la succession de Loukachenka seront là, tout comme des milliers de Bélarussiens qui en ont marre du système actuel. Tous espèrent forcer un second tour qui mettra vis-à-vis un des leurs et celui qui passe pour «le dernier dictateur d’Europe».

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