mercredi 7 juillet 2010

À chacun son génocide...


Le nom du musée a de quoi intriguer. « Musée des victimes du génocide ». Contrairement à ce que le visiteur pourrait s'imaginer en arrivant devant l'imposant bâtiment au centre de Vilnius, en Lituanie, il ne s'agit pas de l'Holocauste, mais plutôt de l'occupation soviétique. Dans l'ancien centre des services de sécurité soviétiques, une exposition est dédiée aux souffrances du peuple lituanien sous le joug communiste. Si la visite du musée ne permet pas de comprendre ce que les auteurs de l'exposition entendent par 'génocide', elle permettra d'en apprendre plus sur l'histoire contemporaine de cette petite nation balte si peu connue.

Pour les Lituaniens, tout comme pour les Lettons et les Estoniens, la guerre commença par le traité germano-soviétique de non-agression (dit Ribbentrop-Molotov) signé en août1939. Dans les clauses secrètes de ce traité, Hitler et Staline se partageaient l'Europe Centrale. Si la majeure partie du territoire lituanien fut occupé par l'Armée Rouge, les Allemands ne furent pas laissés en reste et s'accaparèrent la région du port de Klaipedia, annexée à la Prusse Orientale. Cet élément n'est que mentionné au passage dans l'exposition, qui se concentre plutôt sur la sovietization qui a suivi l'arrivée des troupes soviétiques.

Tout au long de la période d'incorporation à l'Union Soviétique, la Lituanie connut les arrestations et déportations en masse. En réaction, un mouvement de résistance spontané se forma et opéra contre l'occupant. Le 14 juin 1941, quelques jours avant l'invasion allemande, une grande campagne de déportation commença, pendant laquelle des milliers de résidents des pays baltes furent déportés par les autorités soviétiques. Environ 18 000 Lituaniens durent quitter leur patrie. Seuls le déferlement des troupes de la Wehrmacht et un soulèvement populaire lituanien interrompirent le processus. Sur l'occupation allemande, le musée ne raconte pas grand chose, même si il y eut à ce moment-là aussi divers mouvements de collaboration et de résistance. Le chiffre de 240 000 morts (dont quelques 200 000 Juifs) pendant la période nazie est avancé sur un tableau exposant les victimes des deux occupations, mais pas un mot sur les détails.

L'exposition continue avec le retour des troupes soviétiques en 1944. À ce moment le combat des partisans reprit, d'abord avec l'aide des Allemands, ensuite avec l'aide des Américains au début de la guerre froide. Jusqu'au milieu des années 50, une sorte d'armée clandestine vécut dans les forêts lituaniennes et fit la guerre à l'Armée Rouge. Des milliers d'hommes et de femmes refusèrent de capituler devant le sort réservé à leur pays et continuèrent à espérer une intervention de l'Ouest. Dans ce combat inégal près de 11 000 Lituaniens perdirent la vie et de nombreux autres subirent les geôles soviétiques. La répression dura jusqu'à la toute fin, alors que 18 citoyens furent tués en 1990 lors de la lutte pour l'indépendance à la fin de l'Union Soviétique.

Le sous-sol du bâtiment héberge toujours les cellules que le KGB a utilisées tout au long de sa présence en Lituanie. De sombres couloirs bordés de cellules peu accueillantes aux lourdes portes en fer donnent aux visiteurs la chance de revivre l'atmosphère d'alors.


Comme si souvent dans les pays baltes et autres pays d'Europe de l'est, la mythologie nationale transparait très fort dans ce genre de musées. On pensera aussi au Musée des Occupations à Riga (Lettonie) ou à celui de Tallinn (Estonie). Si les horreurs de l'occupation soviétique sont toujours très fort détaillées et mises en évidence, certains blancs sont inquiétants. Ainsi tout est justifié et défendu de par le fait que les premiers envahisseurs furent les troupes soviétiques, les 'Russes'. La proximité idéologique entre certains groupes nationalistes et l'occupant national-socialiste est tout à fait ignorée, au profit de l'explication simpliste que 'l'ennemi de mon ennemi est mon ami'. Les nombreux massacres de Juifs commis par les collaborateurs baltes sont tus, même si la question paraît évidente: en quoi est-ce que tuer ces Juifs faisait avancer la cause de la liberté et l'indépendance des pays baltes? De plus, le côté manichéen de la version de l'histoire proposée dans ces salles saute aux yeux: les bons sont les nationalistes, les méchants sont les Russes. En vérité, de nombreux Baltes ont eux-mêmes mis en place ce système soviétique et l'ont supporté tout au long de ces décennies.

Si le musée de Riga a le mérite de parler des deux occupations, soviétique et allemande, l'exposition de Vilnius est dérangeante par ce silence sur ces trois ans et demi. Le touriste intéressé par une vision plus complète de l'histoire peut cependant se diriger vers le Centre de la Tolérance, sorte de musée juif qui traite de l'héritage juif en Lituanie et qui propose une exposition sur l'Holocauste en Lituanie et aussi sur ces très nombreux Lituaniens catholiques qui ont sauvé la vie de Juifs au péril de la leur. Là-bas, une vision plus nuancée des événements est exposée. Vraisemblablement, le mythe de la résistance et du martyr national restera encore solidement ancré dans les républiques baltes dans les prochaines années. Il ne reste qu'à espérer qu'un dialogue pourra être noué dans le futur et que certains événements pourront être revisités dans toute leur complexité.

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