dimanche 3 janvier 2010

Épitaphe de la révolution





2009 n'était pas seulement l'année où il était bon faire le bilan des révolutions ayant secoué l'Europe Centrale et Orientale il y a vingt ans, mais aussi celle où le temps était venu d'en reconsidérer une plus récente, la fameuse Révolution orange ukrainienne. Il y a cinq ans, après un mois de manifestations contestant la victoire électorale de Viktor Ianoukovitch face au candidat de l'opposition Viktor Iouchtchenko, un troisième tour avait été organisé. Le 26 décembre 2005, Iouchtchenko avait remporté une majorité des voix pour couronner ce mouvement de protestations. Au-delà de l'importance géo-politique de l'événement et du conflit americano-russe autour des sphères d'influence, cette 'révolution' était surtout censé marquer l'éveil politique du peuple ukrainien et la victoire d'une forte société civile. Un bilan qui a été plutôt infirmé que confirmé lors des cinq années suivantes... Dans quelques jours, les électeurs ukrainiens devraient massivement tourner le dos à cette 'révolution'.


L'Ukraine ne fait pas l'exception: un état mafieux post-soviétique ne devient pas une démocratie libérale à l'occidentale du jour au lendemain. Malgré les progrès certains accomplis par certains pays, les changements 'révolutionnaires' serbe, géorgien, ukrainien ou kirghize ont plutôt marqué le transfert du pouvoir d'une clique à l'autre. En regardant de plus près, l'observateur attentif avait déjà pu deviner que les fondements des nouveaux pouvoirs était bancals. En effet, il ne faut pas oublier que la mobilisation populaire était certes forte lors de tous ces événements, mais que la base organisationnelle, elle, était bien mince. De petites ONG telles que Odpor en Serbie ou Pora en Ukraine fortes de jeunes activistes et de fonds étrangers pouvaient certes mobiliser les foules et l'opinion internationale, mais de là à porter la révolution sur leur dos! Ainsi, une fois le changement de pouvoir, on se retrouvait ma foi avec une équipe gouvernementale qui ne comptait pas sur beaucoup de nouvelles têtes. Viktor Iouchtchenko n'avait-il pas lui-même été premier ministre auparavant?

La 'nouvelle' Ukraine bénéficie aujourd'hui d'un système électoral plus honnête et d'une presse plus libre, sans aucun doute, mais la société civile qui était supposément à la source des manifestations a disparu aussi vite qu'elle était apparue: découragée par le manque de possibilités pour le citoyen lambda ou écœurée par une classe politique à peine ébranlée et une bureaucratie post-soviétique. La raison de la désillusion populaire en Ukraine est aussi à chercher dans le manque de maturité politique du pays, maturité qui fait défaut aussi à l'Ouest, d'ailleurs. Dans un pays qui a vécu au sein de l'empire russe et puis de l'Union Soviétique, où la démocratie est très jeune, beaucoup de citoyens veulent des résultats immédiats et ignorent la complexité des affaires politiques. L'élite politique est aussi à blâmer: l'opposition a promis la lune au pays et puis s'est retrouvée le lendemain en un groupe très hétérogène, devant une forte opposition et un pays divisé. De plus, l'appui occidental a été surestimé par Iouchtchenko, et l'importance du voisin russe, sous-estimée.

Espérer pouvoir ignorer la Russie de Poutine quand on partage sa frontière et qu'on est dépendant de son gaz et de ses industries était idéaliste. Pourtant, avec un vrai support occidental, pourquoi pas? Mais Iouchtchenko s'est trompé en croyant que les Occidentaux étaient plus pour l'Ukraine que contre la Russie. Ce qui comptait, c'était d'affaiblir le camp post-soviétique encore plus ou moins dirigé par Moscou, mais il n'y avait pas de stratégie à long terme. L'Ukraine s'est retrouvée entre deux chaises: d'un côté l'administration Bush isolée sur la scène internationale et ayant d'autres priorités avec une Union Européenne qui en avait déjà plein les mains avec l'élargissement à 25 et de l'autre une Russie qui reprenait de l'assurance avec une nouvelle prospérité. Si l'Ukraine a pu diversifier ses liens commerciaux, le jour où les capitaux occidentaux s'installeront à long terme dans un pays encore instable et gangrené par la corruption n'est pas venu. Et puis les Ukrainiens ont toujours autant besoin du gaz russe, qui s'avère être un puissant levier de pouvoir.

Le pari de l'OTAN s'est aussi révélé illusoire: le passage dans le groupe des pays du traité serait vu comme la touche finale du divorce russo-ukrainien, une garantie de l'inviolabilité du territoire ukrainien. Et justement, une grande source de tensions entre l'Occident et la Russie. Le prix est trop élevé à payer pour les Européens, et encore une fois Iouchtchenko a surestimé l'appui étranger. De plus, près de deux tiers des citoyens ukrainiens sont contre l'OTAN, qui ferait de l'Ukraine une zone de conflits. Il ne faut pas oublier que quarante ans de propagande soviétique laissent aussi leur trace...

La lune de miel entre une partie de la population pleine d'espoir et Iouchtchenko fut de courte durée: les querelles intestines paralysèrent l'équipe orange dès la première année, quand le président et sa première ministre Ioulia Timochenko entrèrent en conflit, conflit qui perdura avec les victoires électorales de cette dernière après que le président eut dissolu l'assemblée (deux fois: 2006 et 2008). En fait, Iouchtchenko dut passer plus de temps à gérer son pouvoir qu'à gouverner. Comme dirigeant, il est vu comme trop influençable et versatile, ce qui a poussé plusieurs de ses proches alliés à lui tourner le dos. Toujours en pleine lutte pour le pouvoir, ses nombreuses concessions parfois un peu louches lui ont fait perdre son aura d'honnête homme. Aujourd'hui, la presse ukrainienne lui voit un avenir avec le groupe politico-financier (sic) de Donetsk et son ancien rival Ianoukovitch, qui devrait devenir le nouveau président en janvier. D'ici-là: la Révolution est morte, longue vie à la Révolution!

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