lundi 7 décembre 2009

Dissidence est-allemande


Armoiries de l'Allemagne de l'Est (DDR)
 
Dans la dictature est-allemande de la Deutsche Demokratische Republic (République démocratique allemande, DDR) Le régime ne demandait pas seulement une soumission silencieuse, il exigeait plutôt une allégeance bruyante et publique pour sa politique. Les régimes soviétiques utilisaient le quotidien pour aller chercher l'approbation des gens et faire d'eux de dociles complices. Que ce soit par des votes 'libres' à main levée, des manifestations encadrées ou des élections à liste unique, le citoyen devenait vite un rouage du système. Depuis l'enfance, avec les organisations de jeunesse du parti, les rites d'initiation remplaçant les sacrements religieux, le lavage de cerveau à l'école, etc., le citoyen était modelé selon les désirs de l'État. Et qui s'opposait devenait une cible de la Stasi. Parmi les victimes de la sécurité d'État figurèrent même des écoliers.





En Allemagne de l'est encore plus que dans les autres pays du bloc soviétique, le conformisme politique était très haut. Et la dissidence, très faible. Comment expliquer la docilité de la population est-allemande sous la dictature du Parti d'unité socialiste (SED)? Plusieurs facteurs ont contribué à la faiblesse de l'opposition au régime avant la fin des années 80. Il faut tout d'abord savoir que le mur de Berlin n'a été construit qu'en 1961, et donc une grande partie de l'élite intellectuelle et de la population critique du régime a pu avec plus ou moins de facilité quitter le pays. La proximité avec la frontière avec l'Ouest, ainsi que le fait que déménager en Allemagne de l'Ouest n'était pas vraiment un départ en exil ont conduit pas mal de gens à quitter la DDR. D'ailleurs, la DDR a utilisé beaucoup plus volontiers l'expulsion de son territoire comme moyen de supprimer la résistance. Un autre facteur qui a handicapé la formation d'une opposition en DDR est le passé national-socialiste.

La dictature nazie demandait et forçait un grand degré de participation et il faut dire que la population s'est beaucoup engagée dans le Reich hitlérien. La mythologie est-allemande de l'après-guerre constituait une sorte de pacte avec la population: le nouveau régime traitait la population comme une victime de la dictature hitléro-fasciste en plus de glorifier et gonfler l'ampleur de la résistance au nazisme. La population 'victime' ayant été libérée par l'Armée Rouge, elle devait bien sûr se lancer dans la construction du socialisme, seul rempart contre le retour du fascisme. Bref ce sorte d'accord tacite paralysait toute opposition, car un groupe dissident était sitôt identifié comme travaillant pour le retour du nazisme. Le parti disait: 'Comment? Vous êtes contre la construction d'un rempart contre le fascisme? Vous êtes donc pour le retour du fascisme! Vous voulez un système comme en Allemagne de l'Ouest où les nazis sont aux commandes?' Il était dur d'esquiver une telle accusation et les dissidents marchaient donc sur des œufs quand il s'agissait d'élaborer une critique politique du système. Le pouvoir disposait d'une puissante rhétorique. Étant donné que la critique politique se heurtait à ces arguments aussi simplistes qu'efficaces, l'opposition allemande pris une forme très différente.

Étant donné le traumatisme de la Deuxième Guerre mondiale et les problèmes dans les premières années de l'après-guerre, la société civile allemande était très affaiblie. En Allemagne de l'est, elle ne pouvait vraiment agir contre le développement de la dictature de type soviétique. Seules des élections libres à Berlin en 1946 ont permis de mesurer l'ampleur de l'opposition aux Communistes, qui n'y récoltèrent que 20% (Derrière les Socialites et les Chrétiens-Démocrates), avec un taux de participation de 92%. L'opposition est-allemande s'est concentrée dès le début sur des enjeux différents, plus éloignés de la politique.

L'Église fut dès le début la cible des Communistes et leur pire ennemie. Même si la liberté de culte était garantie, le pouvoir faisait tout pour miner l'influence de la religion dans la société. De leur côté, plusieurs congrégations se battaient pour dénoncer le lavage de cerveau idéologique dans les écoles et la répression du clergé indépendant. Jusqu'à la chute du mur, les églises restèrent des centres de résistance et des endroits où une plus grande liberté régnait, malgré la répression continue.

Une autre façon de contourner la rhétorique du régime est-allemand était de le prendre au pied de la lettre. Cette stratégie fut d'abord utilisée par le mouvement pacifiste. Étant donné que le camp socialiste se réclamait de la paix devant l'impérialisme américain et son bras armé, l'OTAN, le pouvoir était dans l'embarras quand des hippies proclamaient leurs idéaux pacifistes chez eux. C'est que dans tous les pays socialistes, il y avait un long service militaire, qui faisait partie d'un côté de la militarisation de la société, et de l'autre de l'éducation. En effet, l'armée était la dernière institution ayant entre ses mains de jeunes hommes et de jeunes femmes afin de les modeler avant leur entrée officielle dans la société. Les pacifistes est-allemands refusaient de servir dans l'armée et réclamaient l'intronisation d'un service civil comme alternative. Si les autorités durent agir avec plus de tact, la répression s'abattit quand même sur ce mouvement.

Après la signature par le camp socialiste des accords d'Helsinki en 1975, les pays concernés durent ancrer dans leur constitution respective plusieurs principes ayant trait aux droits de l'homme. Ainsi, la dictature est-allemande garantissait de nombreux droits, que certains groupes s'empressèrent de réclamer. Il est plus difficile de traiter en ennemi quelqu'un qui exige qu'un régime respecte sa constitution, se dirent-ils. Les groupes d'Helsinki fleurirent à travers les pays d'Europe Centrale et Orientale afin de clamer leurs droits et pointer du doigt les violations des régimes. Un des droits le plus souvent exigé fut celui de départ. Les citoyens est-allemands avaient officiellement le droit de faire une demande de voyage vers l'étranger. En pratique, les pressions des autorités et les refus successifs décourageaient la plupart des demandeurs. Ceux qui insistaient s'exposaient à des peines de prison sous un motif quelconque. Selon la propagande, ceux qui quittaient le pays étaient des traîtres, et même dans les milieux dissidents, certains considéraient que quitter le pays plutôt que se battre pour sa réforme était une traîtrise. Le mouvement des 'demandeurs de permis de voyage' fut le plus important mouvement d'opposition en DDR, si il est possible de le considérer ainsi. En 1984, les autorités est-allemandes laissèrent 40000 personnes partirent, dont beaucoup de ces demandeurs, croyant affaiblir le mouvement oppositionnel. Cela ne fit que multiplier les demandes...

Fait intéressant, les autorités de l'Allemagne de l'Ouest achetèrent littéralement un grand nombre de dissidents et 'demandeurs' emprisonnés, chacun pour une somme d'environ 100,000 DM (environ 50,000 euros), ce qui permettait à la DDR d'engranger de précieuses devises. Ainsi, plus de 33,000 détenus purent passer à l'Ouest. Et dire que l'Allemagne de l'Est condamnait le trafic d'humains quand il s'agissait des filières pour passer à l'Ouest...

Une autre aile du mouvement d'opposition fut celui des groupes écologistes. Devant la brutalité de l'industrialisation et le total mépris de la nature, de nombreux citoyens protestèrent. Encore une fois, il ne s'agissait pas de remettre en question le régime, mais plutôt de réclamer un plus grand respect pour l'environnement. Un tel mouvement fit son apparition ailleurs dans le monde socialiste, surtout après la catastrophe de Tchernobyl, attribuable à un mode d'administration socialiste.

Le dernier et non pas le moindre des facteurs expliquant la faiblesse de la dissidence allemande était l'incroyable réseau du Ministère de la Sécurité d'État (Staatssicherheit = Stasi, prononcez 'Chtazi'). Au-delà du ministère lui-même et de ses très nombreux agents, l'État pouvait compter sur la collaboration forte ou faible de près de cent mille citoyens! Il est estimé que près de 700,000 citoyens est-allemands ont collaboré avec la police secrète lors des 40 ans d'existence du régime. Il faut cependant un peu mieux comprendre les tenants et les aboutissants d'une telle collaboration avant de la juger.

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