mercredi 9 décembre 2009

Dzsemsz Bőnd


Dans la foulée des célébrations des vingt ans depuis la fin du bloc soviétique en Europe Centrale et Orientale, le Musée d'histoire allemande à Berlin présente une série de films. Dans l'imposant bâtiment de la prestigieuse avenue Unter den Linden, entre l'université Humboldt et la Spree, plusieurs expositions retracent l'histoire de la division, la chute du mur et, bien évidemment, la réunification. Le cinéma du musée projettait dernièrement des films inédits et encore très peu diffusés venant des archives des différentes polices secrètes du bloc. Afin de former leurs agents, ces différents services de sécurité d'État avaient tourné de nombreux films démontrant comment prendre en filature, recruter des agents, démasquer les ennemis et fouiller des appartements, entre autres. Après la chute du mur, les différents instituts s'occupant du passé totalitaire sont tombés sur ces films, parfois 10 ans plus tard! Hier, c'était au tour des Hongrois de nous en mettre plein la vue avec leurs divertissantes 'oeuvres cinématographiques'. Du vrai James Bond, sauce goulash.


Les employés de la sécurité d'État hongroise avaient un côté artistique vraisemblablement assez opprimé et utilisaient amplement la chance de s'adonner au cinéma. Fondus enchaînés, effets spéciaux, dessins animés, prises de vues originales, les réalisateurs, souvent anonymes, se sont donné du mal! Et c'est réussi: l'atmosphère rappelle aux spectateurs les vieux films d'espionnage des années 60 et ce, bien que le jeu d'acteur ridicule ainsi que les commentaires politiques fassent parfois plutôt penser aux derniers films d'OSS 117. Alors que plus de 3000 films ont été trouvés dans les archives de la police secrète est-allemande, la Stasi, seuls 35 films ont été sauvés de la destruction en Hongrie. La perte touche plus les historiens que le cinéma.

Dans le premier film, il est montré aux recrues ce qu'est la protection des archives secrètes et quelles sont les entorses au règlement couramment commises, ainsi que leurs dramatiques conséquences pour le pays. D'une façon peu subtile, la caméra montre pendant 20 minutes ce que font des employés peu consciencieux des différents ministères et comment des espions à la mine patibulaire exploitent perfidement ces failles. Un employé peu prudent s'éloignant de son bureau sans avoir fermé sa porte voit ses habits être momentanément changés en habits de prisonnier... Comme quoi il faut savoir qu'un crime n'est pas impuni, et d'ailleurs, le commentateur s'empresse d'ajouter qu'à l'Ouest, un employé qui, par sa négligence, cause la fuite d'un secret industriel est renvoyé et ne trouvera plus d'emploi, alors qu'en Hongrie, ces négligences sont parfois pardonnées. Les cas de l'employé rapportant des documents secrets à la maison et les montrant à sa famille est tout aussi subtilement illustré et dénoncé, tout comme la duplication illégale et le transport sans précautions de documents top-secrets. Par la suite, de diligents employés montrent comment on prend soin de ces documents et comment ils sont méticuleusement archivés et protégés. De vrais 'Héros du Travail'.

Dans le second film, plus court, les dangers liés à la présence de diplomates étrangers et aux séjours à l'étranger sont énumérés. Des diplomates ennemis se faisant passer pour des amis afin de soutirer de vitales informations jusqu'aux juteuses propositions faîtes aux Hongrois en voyage officiel à l'étranger, avec strip-teaseuses et liasses de dollars, bien sûr, toute la sournoiserie capitalisto-impérialiste est exposée. Le troisième, 'l'amenage conspirateur' est des plus divertissants. Grâce à lui, les jeunes agents peuvent apprendre comment recruter des collaborateurs de la police secrète. Des types à l'air sombre se déplacent autour de leur cible avec précaution, attendant le moment opportun pour faire 'l'arrestation conspiratrice'. Lançant des regards autour d'eux, ils se déplacent, l'air de rien, gardant la cible en vue. Un prétexte est utilisé pour éloigner la cible de son environnement (rendez-vous officiel, voyage d'affaires), car personne ne doit savoir qu'il a été approché par les services secrets. Quand la cible est isolée, une voiture banalisée s'arrête et trois types demandent courtoisement à la cible de monter à bord, tout en se préparant à toute tentative de fuite. Si la cible est dans un endroit public (comme un train), le contrôleur trouve un prétexte pour attirer le voyageur dans un compartiment où des agents attendent leur gibier. Et à la prochaine station, une voiture attend le poisson, escorté subtilement par deux hommes. La proposition pourra être faîte à l'abri des regards indiscrets.

Le quatrième film touche un autre sujet important: la fouille incognito. Bien qu'interdite par la constitution des pays socialistes, la fouille illégale était bien courante, tout comme une foule d'autres pratiques illégales des services secrets. La clé du succès, nous dit-on, c'est la bonne préparation et l'attente du bon moment. Il faut que les habitants se soient éloignés, comme pour leur baignade hebdomadaire, par exemple. Deux camarades pénètrent alors dans l'appartement grâce à leur impressionnant trousseau de clés et enfilent pantoufles et gants blancs afin de ne laisser aucune trace. Ils retirent manteaux, écharpes et chapeaux avant de se mettre à la besogne. Le commentateur insiste sur le fait qu'il faut soigneusement observer l'intérieur et la disposition des objets afin de ne laisser aucune trace. Le premier agent fait sa première trouvaille en fouillant les vestons de monsieur: une dizaine de photos de sa femme nue!!! Façon de montrer le caractère pervert de l'ennemi de classe? En continuant à passer au peigne fin l'appartement, les agents tombent bien sûr sur le tableau derrière lequel est habilement dissimulé une liste de conspirateurs, la petite boîte contenant les liasses de coupures de 100$ américains, et le revolver emballé dans un sac de plastique et caché dans le réservoir de la toilette. Bref, une affaire comme tant d'autres! Tout est pris en photo, remis en place, et les agents partent aussi sagement qu'ils sont venus. Ils ont évité de répondre au téléphone, car, comme le précise la voix hors-champ, cela pourrait être ou une erreur, ou quelqu'un cherchant le propriétaire, et même le propriétaire LUI-MÊME vérifiant que personne ne fouille son appartement!!! Les ennemis étant futés, un court extrait montre quels sont les pièges à éviter pour ne pas se faire démasquer. L'ennemi prend des précautions, tel que coincer une allumette dans la fente de la porte en la fermant (si elle est tombée, cela signifie que quelqu'un est entré en son absence), mettre un cheveu dans l'ouverture d'une mallette (si le cheveu n'y est plus, c'est que quelqu'un l'a ouverte) ou bien encore 'piéger' un tiroir en y plaçant une feuille dans l'ouverture, qui retombera si le tiroir a été ouvert sans qu'une lame ne retienne la feuille. Bref, on nage en pleine paranoia de la guerre froide!

Le tout dernier film, 'Les pamphlets', montre une enquête rondement menée, depuis la dénonciation du crime jusqu'à l'arrestation de l'ennemi de classe. Des pamphlets hostiles au régime ont été disséminés devant une gare et une usine d'une ville de province. Heureusement, de consciencieux prolétaires ont alerté les autorités. D'un côté l'analyse des pamphlets (ramassés à la pince) et de l'autre l'interrogation des témoins permettent aux enquêteurs de posséder une empreinte digitale et de savoir que le malfaiteur était en moto rouge. Cinq motocyclistes sont détectés. Quatre ont un alibi. Le cinquième pourrait être le coupable, et il faut le démasquer. Un collaborateur informel des services travaille dans le bureau du suspect, connu pour être un 'ennemi de notre république'. Celui-ci approche d'abord la copine du suspect, qui lui révèle que son copain a voulu lui faire taper des textes hostiles. L'informateur offre ensuite un verre de vin au traqué pour obtenir ses empreintes. Finalement, il convainc la fille de faire une dénonciation à la police. Finalement, la police perquisitionne chez l'ennemi et trouve chez lui de la propagande fasciste, bien entendu. L'affaire est bouclée!

Ces films sont d'un kitsch assez délicieux, mais le spectateur ne peut pas oublier que ces documents ont éduqué des générations de flics sans scrupules qui ont surveillé toute une population, persécuté plusieurs milliers de personnes et assassinés plusieurs opposants. Pour l'historien et même le simple spectateur, ces films offrent un regard au sein même de services tellement secrets qu'ils échappaient parfois à la supervision du parti.

2 commentaires:

  1. Zut... nous, quand nos braves services de sécurité nous ont expliqué qu'il faut mettre nos papiers secrets sous clef (dans des coffres-forts pour lesquels on n'a pas de place et pas de budget), ils nous ont pas montré de films sur les ennemis de classe :(

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  2. l'insouciance des impérialo-capitalistes causera leur perte!!!

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